Pour la libération des grands classiques

Christian Geffroy et son équipe se lancent dans une vaste entreprise de libération : non pas du marché, non pas des tabous sexuels, mais des complexes d’infériorité que nous ressentons face aux classiques et à la culture en général. Non, ils n’ont pas lu tous les auteurs classiques ; non, ils n’ont pas vu toutes les célèbres mises en scène historiques des fameux classiques ; non, ils n’aiment pas inconditionnellement la culture, non, non, non. Mais tout cela ne les empêche pas d’entrer dans le jeu – au contraire, c’est libérés du carcan répressif de la « culture des classiques » qu’ils ouvrent un jeu de piste, un jeu du sens et du contre-sens, par la bande, en pirates, animés par le seul droit d’aimer et de rire de ceci ou cela sans posséder une maîtrise du tout. Une libération qu’ils appliquent à Shakespeare, Molière, Tchékhov et Strindberg, pardon du peu.

Parce qu’un classique, au fond, qu’est-ce que c’est ? Si on y réfléchit bien, un auteur n’écrit pas « un classique » ; il écrit une pièce de théâtre, une de plus. Ce qui « fait » le classique, c’est sa réception par le public, mais aussi par les critiques de théâtre et les critiques littéraires, à travers les siècles. C’est l’abondance de commentaires, d’interprétations, d’analyses que le temps ne semble pas épuiser (qu’on songe seulement aux quelque 400 ouvrages publiés annuellement sur Hamlet). C’est le mouvement obsessionnel « d’y revenir », de reprendre la discussion, de prendre un nouvel élan en lui pour créer de la pensée.

C’est pourquoi Christian Geffroy pose-t-il la question en ces termes : qu’est-ce qui, dans ces oeuvres, suscite et nourrit pareille activité de pensée ? Car s’il a consacré son année de résidence au Théâtre St-Gervais à quatre auteurs qui appartiennent pour lui à une même dynamique historique, ce n’est pas pour faire appel à des « valeurs sûres dans un monde trouble » – c’est pour partager avec le public une dynamique dramaturgique créative. Pour s’enthousiasmer ensemble sur les innombrables niveaux de lecture ou mises en abîme imaginables, pour inviter à une jubilation intellectuelle très théâtrale. Une libération à laquelle le public a déjà pu prendre goût lors de quatre soirées introductives.

Conception et mise en scène Christian Geffroy Schlittler, en collaboration avec les interprètes, avec Mélanie Bestel, Vincent Fontannaz, Susann Vogel, Olivier Yglesias, consultant dramaturgie Sébastien Grosset, assistant Julien Basler, collaboration artistique Barbara Schlittler, administration Catherine Cuany, captation vidéo et montage Marc Décosterd, textes Mélanie Bestel, Yves Bonnefoy, Vincent Fontannaz, Richard Foreman, Christian Geffroy Schlittler, Sébastien Grosset, Louis Jouvet, Jan Kott, Molière, Roger Planchon, William Shakespeare, August Strindberg, Peter Stein, Anton Tchékov, Susann Vogel, Olivier Yglesias, Production L’aLFP, le Théâtre Saint-Gervais Genève, Théâtre de l’Arsenic, Lausanne, soutiens Département de l’instruction publique de l’Etat de Genève, Loterie Romande, Sophie und Karl Binding Stiftung